mercredi 13 octobre 2010

Louis-Ferdinand Céline est à Paris par Pierre Assouline

Pierre Assouline consacre son dernier papier au spectacle Dieu qu'ils étaient lourds ! qui se joue au Théâtre du Lucernaire jusqu'au 13 novembre, plusieurs fois présenté sur notre site.

La république des livres, 13/10/2010 : Saisissant. Vraiment saisissant, il n’y a pas d’autre, mot car dès que sa voix se fait entendre, et dès que le faisceau de lumière se pose sur lui dans une semi-obscurité, on est vraiment parcouru d’une étrange impression : Louis-Ferdinand Céline nous fait face. C’est d’autant plus fort que cela se passe au “Paradis”, la plus petite salle du théâtre du Lucernaire à Paris, ce qui accroît le sentiment de proximité. Une heure et dix minutes durant, l’écrivain assis dans un fauteuil chromé répond aux questions d’un journaliste planqué dans un coin derrière une table, personnage en retrait interprété par Règis Bourgade, qui a tout du jeune Louis Pauwels (dans une autre version du spectacle, il était installé au fond de la salle, derrière le public, afin que Céline réponde directement aux spectateurs, abolissant la notion de “quatrième mur” en le perçant). De quoi s’entretiennent-ils ? De la guerre, de l’exil, de la prison, du Danemark, de la fuite à Siegmaringen, de l’antisémitisme, et surtout de la passion exclusive du style, de la haine des idées, de littérature, d’écriture, de langue, de la forme, du travail… “Au commencement était l’émotion…”

Le spectacle, qui s’intitule “Dieu qu’ils étaient lourds !..”, doit une grande partie de son intérêt à l’habileté avec laquelle le concepteur/metteur en scène Ludovic Longelin a adapté les paroles de Céline. Non celles d’”Entretiens avec le professeur Y”, plus provocatrices, auxquelles il avait pensé dans un premier temps, mais celles des entretiens radiophoniques, nettement plus sobres, accordées à Albert Zbinden (Radio Lausanne, 1957), Lectures pour tous (RTF,1957), André Parinaud (1958), Louis Pauwels et André Brissaud (1959), Marc Hanrez (1959), Jacques d’Arribehaude et Jean Guénot (1960) ainsi que les inventorie Philippe Alméras dans son précieux “Dictionnaire Céline” (Plon). Des paroles envoûtantes par leur rythme même et par le crépitement des métaphores. Un mot de la soeur de Marat revient en leitmotiv :”Ce sont là turpitudes humaines qu’un peu de sable efface”. Mais il est évident que sa puissance, le spectacle le doit avant tout au comédien Marc-Henri Lamande.

Son interprétation est stupéfiante de vérité. Il n’est jamais dans l’imitation, toujours dans l’incarnation. Pas la moindre trace de mimétisme. Tous les tics de langage (”n’est-ce pas !”), les inflexions de voix, la gestuelle, le débit saccadé, les échos arlettyens, le timbre gouailleur, les hésitations, les murmures sont parfaitement intégrés par cet homme assis sur cette chaise et qui est Céline par toutes fibres. Par moment, on croit voir Antoine Artaud en superposition tant les deux se ressemblent, au fond. Et l’on découvre qu’avant d’être l’un, Lamande a été l’autre (dans “Le théâtre et son double” et dans “Tutuguri et le rite du soleil noir”)

“Alors voilà, je me trouve à présent à faire un “intervouive” dans un décor de chaise électrique !… Mais ça ne va pas me troubler du tout et je vais dire tout ce que j’pense et personne ne m’empêchera de parler…” Il serait impardonnable de manquer ça, d’autant que c’est prolongé jusqu’au 13 novembre (du mardi au samedi à 19h). Les céliniens y penseront longtemps après encore; les non-céliniens devraient se laisser guider par la curiosité; les anti-céliniens viscéraux auront raison de s’abstenir car c’est tellement bien que cela leur fera du mal.

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