lundi 1 novembre 2010

« Dieu qu’ils étaient lourds » : Voyage au bout du génie

Culturecie.com, 16/10/2010 : Avec une totale économie de moyens, simplement assis dans un fauteuil « dans un décor de chaise électrique », Marc-Henri Lamande livre une composition saisissante en incarnant Louis-Ferdinand Céline. Un spectacle d’une redoutable intelligence que défend le Lucernaire.

Louis-Ferdinand Céline. Un nom qui suscite autant d’adulation que de haine. Personnage exécrable, d’une supériorité qu’il traduit par une suffisance impitoyable, esprit frappé du sceau du génie autant que de la folie pure. « Voyage au bout de la nuit » aurait suffi à faire de lui un écrivain majeur, incontournable. A suivi « Mort à crédit » où l’auteur systématise un style catatonique, syncopé à la Dostoïevski et auquel il apporte son phrasé, ses mots, sa propension à ne jamais terminer ses phrases. Un authentique démiurge. Qui peut se mesurer à ça ? Qui peut faire le poids ?

Puis quelques autres titres, moins glorieux, que d’aucun clouent au pilori sans états d’âme et à juste titre, les qualifiant d’abjects, de dégueulasses et pire encore. Cinquante ans après sa disparition, la plaie qu’il a laissée demeure béante. « Voyage… » est le roman préféré des Français, selon un récent sondage. Céline, lui, est l’auteur le plus détesté des Français. Le plus conspué. Rançon de la gloire ou du génie, il n’est pas à l’instar des Hussards Nimier et autres Morand, tombé dans les oubliettes. Plus actuel que jamais, Céline fascine, dérange.

Toutes ces facettes vont être abordées dans ce spectacle. Sans complaisance. Le romancier se livre. Avec une fulgurance démoniaque. C’est saignant, dérangeant, vitriolé. La salle est plongée dans la plus noire obscurité et les éclairages vont se faire très progressifs pour faire surgir cette silhouette anguleuse, décharnée, au regard qui vous transperce tout en ne semblant pas vous voir.

Sur le principe de l’interview, Marc-Henri Lamande fait revivre ce trublion aussi génial que gênant. La composition, le mimétisme sont saisissants. La voix nasillarde, les mimiques, son air inquiétant et fascinant à la fois imprègnent le jeu de ce comédien habité par son rôle et qui relève un sacré défi. Car le texte est rude, bourré d’aspérités et ne lésine ni sur les provocations (« Je rends les autres illisibles », « La gloire ne va qu’avec les morts, les vivants ne vont qu’à l’Académie ») ni sur certaines vérités (littéraires, politiques, philosophiques). Mais avec en filigrane, sous le masque de la harangue, les palpitations d’un homme presque normal, simplement conscient qu’il n’était pas vraiment monsieur Toutlemonde…

Franck BORTELLE


« Dieu, qu’ils étaient lourds…! »
Conception, adaptation, mise en scène : Ludovic Longevin
Avec Marc-Henri Lamande et, en alternance, Régis Bourgade et Ludovic Longevin
Durée : 1h10

Du 15 septembre au 6 novembre 2010
Du mardi au samedi à 19 heures
Au Lucernaire
53 rue Notre-Dame des champs
75006 Paris (Métro : ND des Champs)
Réservations: 01 42 22 26 50

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