jeudi 20 janvier 2011

Faut-il célébrer la mort de Céline ?

AFP, 20/01/2010 : La condamnation par Serge Klarsfeld de la présence dans les célébrations nationales 2011 de Louis-Ferdinand Céline, mort il y a 50 ans, relève pour nombre d'intellectuels du "mauvais procès", même s'ils reconnaissent la difficulté de distinguer l'antisémite de l'écrivain.

Céline (1894-1961) fait partie des dizaines de personnalités ou événements inclus dans le recueil des célébrations nationales cette année au côté par exemple de Clovis, Henri Troyat, Blaise Cendrars, Hervé Bazin ou encore Franz Liszt, André Leroi-Gourhan ou Georges Pompidou.

"C'est un immense écrivain français, le plus traduit et le plus diffusé dans le monde après Proust. Il est dans la Pléiade, très lu en poche. En dehors de ça, c'est un pur salaud", résume l'un des spécialistes de Céline, Henri Godard, qui a rédigé sa notice dans le guide des célébrations et fut condisciple de Serge Klarsfeld pendant leurs années de lycée. Le ministère de la Culture "a fait preuve de maladresse en évoquant dans son introduction les valeurs morales exemplaires" des personnalités célébrées, reconnaît Henri Godard. "C'était donner des verges pour se faire battre. Mais cet anathème lancé par Klarsfeld, d'une telle violence, cela ressemble à de la censure. Même si Céline est un cas immensément difficile", dit-il à l'AFP. "Célébration, c'est le mot qui fait hurler Serge Klarsfeld, et il est dans son rôle de président de l'association des fils et filles de déportés juifs de France (FFDJF)", renchérit Pierre Assouline. "Mais c'est un mauvais procès. Il n'y a pas d'ambiguïté. Ce n'est pas synonyme de commémoration. Le Céline qui est honoré, c'est le Céline écrivain", relève l'écrivain et journaliste. "Ce n'est pas une +année Céline+ et si le ministère de la Culture n'avait pas inclus dans son inventaire le 50e anniversaire de la mort de cet auteur qui domine la littérature française du XXe siècle, il aurait failli à son rôle", ajoute-t-il.

En revanche, pour Serge Klarfeld, le talent de l'auteur du "Voyage au bout de la nuit", ne doit jamais "faire oublier l'homme qui lançait des appels aux meurtres des juifs sous l'Occupation. Que la République le célèbre, c'est indigne", estime-t-il. "Ce serait un acte de courage de la part du ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, d'enlever Céline du recueil (des célébrations nationales 2011), comme nous le réclamons". S'il ne le fait pas, "nous attendrons que le Premier ministre François Fillon et le président de la République prennent position", a déclaré M. Klarsfeld jeudi.

Pour Bernard-Henri Lévy, la réaction est excessive. "Je pense que Serge Klarsfeld et Bertrand Delanoë (qui lui a exprimé son soutien, ndlr) vont trop vite. D'abord parce que Céline est, évidemment, et sans discussion possible, au nombre des très grands écrivains du XXe siècle français", souligne le philosophe. "Mais ensuite parce que cette célébration doit précisément servir à explorer l'énigme qui fait que l'on peut être à la fois ce très grand écrivain et ce parfait salaud", ajoute-t-il. Selon l'éditeur et écrivain Emile Brami, grand spécialiste de Céline, "c'est une question de morale politique. Peut-on célébrer Céline ? Je n'ai pas la réponse". "On veut toujours mélanger l'homme et l'oeuvre. Or les grands artistes sont souvent dans la transgression", ajoute-t-il. "Sur l'oeuvre (de Céline), aucune objection. Sur son antisémitisme, rien ne peut le dédouaner. Tout dépendra de la forme que prendront ces célébrations".

Myriam CHAPLAIN-RIOU

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